Depuis des années, lorsqu’on évoque la définition légale et jurisprudentielle des accidents du travail, souvent la question tombe : « Et l’accident quand on est en télétravail ? » …
Et là, la réponse était toujours la même : « Euh ! en principe, c’est pareil …, mais quand le télétravail va se développer et que des cas graves vont se produire dans des situations litigieuses, c’est la jurisprudence qui va faire loi … tant que le législateur ne clarifiera pas. »
Et ben voilà ! nous y sommes ! ça avance. A ma connaissance pas encore significativement en France (je laisse les juristes, plus pointus que moi, apporter leurs éventuelles jurisprudences dans les commentaires). Mais quelques décisions internationales récentes donnent une indication claire sur la tendance. Deux cas ont retenu mon attention.
Un accident d’avant COVID (17 septembre 2018), en Allemagne. Un chef régional des ventes chez Volkswagen sort de sa chambre pour se rendre dans son bureau, un étage plus bas. Il chute dans son escalier, se fracture une jambe et une vertèbre. L’organisme qui assure les AT refuse de couvrir l’accident. La première instance décrète que c’est un trajet (lit-bureau !!!) donc un AT. L’appel rejette la décision. En dernière instance le tribunal social fédéral casse et confirme la première décision : c’est un accident du travail.
Beaucoup plus récent, au Canada, Le 25 septembre 2020, une salariée d’Air Canada se branche à son poste de travail vers 6 h le matin. Sa journée de travail doit se terminer vers 13 h. Au cours de la pause déjeuner, elle se débranche de son poste, quitte son poste de travail et emprunte l’escalier de sa maison pour aller déjeuner au rez-de-chaussée. Elle perd pied et tombe. Son employeur, Air Canada, soutient que la chute dans l’escalier n’est pas survenue au travail, mais dans la sphère personnelle de la vie de son employée. Au moment de la chute, la salariée n’était en effet pas rémunérée par l’employeur, et sa chute est survenue à la maison, alors qu’elle s’apprêtait à effectuer une activité de nature personnelle : manger.
Toutefois, soutient le juge administratif, le contexte dans lequel survient cet incident comporte certaines dimensions qui font en sorte qu’il s’agit d’un évènement imprévu et soudain qui survient à l’occasion du travail, soit la définition même d’un accident de travail selon la loi canadienne (expression similaire à celle que l’on retrouve dans les textes français). Je vous fais grâce du raisonnement opéré. Le résultat est là. L’AT est reconnu !
Alors on peut rager, argumenter, contester, …, mais les faits sont têtus, … et à la fin, c’est toujours le juge qui a raison.
Alors, il va bien falloir que la prévention s’en mêle !
Quand on sait que les accidents domestiques font, en France, environ 40 fois plus de morts que les accidents du travail, travailler à la maison n’est pas sans risque ! Et pour aggraver le tout, les personnels amenés à télétravailler sont en général ceux dont la culture sécurité est la plus faible ! Quand une entreprise est bien engagée dans la démarche prévention, ce sont avant tout les salariés de terrain qui sont les plus sensibilisés car les plus exposés. Mais le maçon, le conducteur de ligne de production ou le préparateur de commande sont peu amenés à télétravailler !
Et là, nous sommes face à une situation inextricable. D’un côté l’employeur est responsable de la santé et de la sécurité des salariés dans l’exercice de leur mission. De l’autre, le salarié est chez lui, et, à ce jour, aucun texte ne permet l’employeur à le contraindre à quoi que ce soit chez lui !
Alors on pourrait conditionner le télétravail à certains renoncements de liberté des salariés … pas sûr que cette piste en soit une !!!
Mais la réalité à court terme, c’est que face à la déclaration par le salarié, d’un accident du travail grave, l’employeur sera dans l’incapacité, sauf accord du salarié, de mener une analyse d’accident approfondie et fiable ni de mettre en œuvre des mesures de prévention adéquates … ce que les autorités pourraient ensuite lui reprocher en cas d’évènement similaire !
Alors comment initier une démarche ?
D’abord il faut un constat clair : quelle population est concernée ? à quelle fréquence ? dans quelles conditions de télétravail ? Les cas sont tellement différents. Un salarié en poste de travail fixe, installé, avec des horaires contraints ce n’est pas la même chose qu’un salarié autonome qui peut travailler avec son portable à plusieurs endroits différents.
Ensuite des actions peuvent être lancées : création d’une méthodologie simple d’analyse de risque orientée sur les risques d’accidents du travail à la maison. Formation des salariés à la réalisation de ces analyses de risque. Co construction avec sa ligne hiérarchique de quelques règles et bonnes pratiques auquel il s’engage. Etablissement d’une démarche pour réactiver régulièrement le sujet auprès de ce public.
Bref, aussi imparfaites que puissent être les démarches envisagées dans le cadre juridique actuel, il convient de ne pas rester inactif en attendant de subir la vague. Anticiper, cogiter, innover … n’est-ce pas là la première valeur ajoutée des préventeurs ?
Vincent de la Fouchardière – consultant associé